10 mai, Fontenay-sous-Bois

Commémoration des abolitions des traites et des esclavages dans le domaine colonial français.


lundi 16 novembre 2009

Sur l'émancipation des esclaves, 22 avril 1835

Chambre Des DÉputÉs. — Séance du 22 avril 1835
Alphonse de Lamartine, Louis Ulbach.- La France parlementaire (1834-1851): œuvres oratoires et écrits politiques, Volume 1,  Louis Ulbach.- Editeurs : A. Lacroix, Verboeckhoven, 1864. 
=> De l'analogie entre l'esclavage et la peine de mort.

Dans la législature de 1833, la Grande-Bretagne avait aboli l'esclavage dans ses colonies. Ce bill avait été mis en vigueur le 1er août 1834. En vue de prévenir les agitations qui pourraient résulter d'une émancipation partielle, le ministre de la marine réclamait un crédit extraordinaire pour l'accroissement des garnisons dans nos colonies. La discussion, dépassant le projet ministériel, porta sur la question même de l'esclavage. Il appartenait à M. de Lamartine de trai ter-cette question sous les différents aspects où elle se produisit devant la Chambre et en dehors des assemblées législatives. Sa parole était naturellement acquise, comme ses sentiments et ses convictions, à l'abolition de l'esclavage et à l'abolition de la peine de mort, deux faces diverses d'un même axiome d'humanité.
Messieurs,
Je ne viens pas combattre les conclusions de l'honorable colonel * qui descend de cette tribune; mais je viens m'opposer à l'ajournement et au silence qu'il invoque dans cette question Nous n'avons que trop ajourné , nous n'avons que trop gardé le silence, il est temps de parler. Mais ce n'est pas contre le projet de loi que je parlerai: plus nous désirons rapprocher el assu
rer cette grande mesure de l'émancipation des esclaves, plus nous accorderons libéralement au gouvernement les moyens de précautions et de surveillance que nous commande notre sollicitude pour nos concitoyens des colonies.
Loin de moi, Messieurs, la pensée de m'affliger de ce que la question des colonies ramène ici la question de l'esclavage, question qui reviendra, selon nous, tant qu'elle n'aura pas été résolue dans le sens de la raison, de la justice et de l'humanité' ; nous ne pouvons nous empêcher d'admirer, au contraire, cette toute-puissance de la conscience humaine que rien ne peut étouffer, qui se soulève chaque fois qu'on prononce le mot d'esclave, qui cherche à agir ou dans les assemblées délibérantes, ou dans des sociétés volontaires, et qui, pour des intérêts qui lui sont étrangers, où elle semble complétement désintéressée, force des hommes d'opinions, de religions et de nations diverses, à s'entendre d'un bout de l'Europe à l'autre pour ce noble but de l'émancipation! C'est là ce que j'admire, c'est là ce qui devrait prouver aux plus incrédules qu'il y a en l'homme quelque chose de plus fort, deplus irrésistible que la voix de l'intérêt personnel, quelque chose de divin, de surhumain, qui crie en lui-même contre ses mensonges, contre ses sophismes, et qui ne lui laisse le repos que quand il a satisfait à ses inspirations de justice, et inauguré dans les lois le principe qu'il a dans son cœur! (Très-bien!)
Je sais, nous savons tous, une fatale expérience nous a trop appris que dans des discussions de cette nature nous devons peser toutes nos paroles, et étouffer sous la prudence du langage, sous la réticence souvent la plus entière, cette chaleur même d'humanité qui, sans péril parmi nous, pourrait allumer l'incendie ailleurs. Nous ne devons pas oublier, nous n'oublierons pas que chaque parole inflammable prononcée ici, retentit non-seulement dans la conscience de nos collègues, dans l'inquiétude des colons, mais aussi dans l'oreille de trois cent mille esclaves, que ce que nous traitons froidement et sans danger à cette tribune touche à la propriété, à la fortune, à la vie de nos compatriotes des colonies, que nous devons veiller avant tout à leur sûreté dont nous répondons devant Dieu et devant les hommes, et que nous ne devons éveiller dans les esclaves d'autres espérances que celles que nous pouvons satisfaire sans commotion pour les colonies, sans ruines pour les propriétés, sans trouble, sans agitation pour les esclaves. Je suis tellement pénétré. Messieurs, de ce devoir, que, pour ma part, je ne me serais associé ni à cette discussion, ni aux efforts individuels des partisans de l'émancipation, si le contraste des colonies anglaises où l'émancipation est effectuée, avec nos colonies où l'esclavage est maintenu, et la présentation même du projet de loi ne donnaient plus de péril au silence qu'à la délibération. Nous ne sommes plus au temps qu'on nous rappelle, où des orateurs plaçant le fanatisme de l'humanité au-dessus de l'amour de l'humanité, qui n'est jamais séparé de la raison et de la prudence, s'écriaient : Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! Aujourd'hui, Messieurs, bien loin que cette alternative se pose devant nous, nous sommes assez éclairés et assez heureux pour que l'intérêt du principe et l'intérêt des colonies soit confondu, et nous devons dire au contraire : En sauvant les principes, nous sauvons les colonies !

L'Angleterre, après de longues enquêtes, vient par le bill de 1834 d'abolir l'esclavage, les avantages du travail libre ont été constatés à ses yeux. Restaient les droits des colons, le principe de l'indemnité a été admis, et la Grande-Bretagne vient de s'honorer et d'honorer l'homme par un des actes les plus inouïs qu'ait jamais accomplis une association d'hommes. Elle a racheté au prix de cinq cent millions le principe sans prix aux yeux d'un peuple chrétien, le principe de la liberté et de la dignité des enfants de Dieu. ( Très-bien! Sensation.)
L'expérience de la liberté est en faveur de l'émancipation. Le discours d'ouverture du Parlement de 1835, rédigé par des hommes d'État, longtemps adversaires de cette mesure, est un témoignage que vous ne pouvez récuser; il n'y a pas de meilleurs témoins que des témoins qui confessent leur prévention et leur erreur. Les colonies espagnoles sont encore sous le régime de l'esclavage. Mais il faut le dire à l'honneur d'une religion qui s'interpose au nom de Dieu entre le.maître et l'esclave pour tempérer la tyrannie de l'un et adoucir la résignation de l'autre, l'esclavage dans les colonies espagnoles n'est plus qu'un mot, l'esclave peut se racheter tous les jours. Cette faculté qui le soutient par l'espérance est une liberté véritable et commande au maître une sorte de paternité.

Dans cet élat de choses il est impossible que nos colonies ne s'agitent pas. Les esclaves entendent parler tous les jours de l'émancipation de leurs frères dans les colonies anglaises; l'impatience de la liberté les remue, ils attendent, ils complètent, ils désertent en grand nombre; le gouvernement et les conseils coloniaux craignent avec raison cette contagion de la liberté qui se répand sur nos îles comme un fléau, et qui devrait s'y répandre comme un bienfait ; ils vous demandent de nouvelles mesures, les événements prévus ou imprévus les forceront à vous en demander de plus onéreuses au Trésor; vous les accorderez, parce qu'il faut à tout prix protéger les propriétés et les vies de nos compatriotes, et de nécessités en nécessités, de crédits en crédits, ajoutés au 30 millions que vos colonies coûtent déjà depuis longtemps à la France, vous aurez dépassé, peut-être, le chiffre des dépenses que l'émancipation aurait coûtées au pays ! Vous aurez payé pour retenir dans les fers, dans l'oppression, dans l'immoralité, dans le concubinage, dans la privation de tout ce qui constitue l'humanité, trois cent mille esclaves, plus qu'il ne vous en aurait coûté pour appeler toute une race d'hommes à la liberté, au travail volontaire, à la famille, à la religion, à la civilisation et à la vertu! Voilà, Messieurs, l'inévitable effet de ces ajournements éternels des principes, qui, en perpétuant le mal dans le présent, ruinent la conscience des peuples, ruinent les mœurs, ruinent le Trésor et rendent le remède plus impossible dans l'avenir!
Je sais que quelques personnes même dans cette nation si juste, si généreuse, si libre, si jalouse de ses moindres droits, contestent plus haut que jamais qu'aucun remède soit nécessaire, soit applicable à l'esclavage. J'ai entendu sur cette question ce mot terrible sortir d'une bouche éloquente et chrétienne : A l'égard de l'émancipation des noirs, silence toujours, inaction toujours! Silence? oui; si vous agissiez, nous nous tairions pour ne pas compromettre vos mesures; inaction toujours? puisque vous avouez cette pensée d'éternelle oppression, puisque vous consacrez en principe et en fait la permanence de l'esclavage et le droit irrachetable de la possession de l'homme par l'homme, nous ne pouvons nous taire; notre réserve pouvait, devait vous donner du temps; elle ne peut ni ne doit vous faire l'éternelle concession d'une vérité qui ne nous appartient pas plus qu'à vous, qui est le titre de l'humanité tout entière !

Ce n'est plus ni le temps ni l'heure de revenir sur cette question de l'esclavage en lui-même. Cette question n'est jamais absolue, elle est toujours relative, et j'accorderai, si l'on veut, que la loi peut tolérer l'esclavage de certaines races humaines pendant un certain temps, et à la condition que celle violation des droits reçus de la nature, que celle exception odieuse à la possession de soi-même, soit ou paraisse indispensablement nécessaire à la conservation, à l'amélioration de ces hommes tenus en tutelle au-dessous de l'humanité ! Je l'accorderai sans y croire, car la possession de l'homme n'a pas été donnée à l'homme. Dans l'état de nature, l'homme appartient à Dieu ; dans l'état de société, il appartient à la loi. L'homme ne peut être acheté, il ne peut même se vendre lui-même : car la dignité humaine ne lui appartient pas, elle appartient à l'humanité tout entière. Aucune loi sociale ne peut reconnaître cet avilissement de l'humanité dans le commerce forcé ou volontaire de l'homme, elle profanerait l'homme et Dieu ! D'ailleurs, si l'on pouvait se vendre soi-même par uu abus monstrueux du droit de possession de soi-même, on ne peut vendre au delà do soi-même, on ne peut inféoder la race à venir à un éternel esclavage ! L'état actuel de l'esclavage dans nos colonies admet cette vente des enfants par le père et parla mère, des enfants nés et à naître ! et quelle mère peut voir, sans que son cœur soit refoulé en elle, sourire son enfant destiné à lui être arraché pour l'esclavage? quelle mère, si elle a une pensée humaine, peut sentir sans regret et sans horreur palpiter dans son sein un être vendu d'avance au fouet des blancs? (Exclamation. Très-bien! très-bien!) Ils ne peuvent, dit-on, supporter la liberté, c'est une race imparfaite qu'il faut élever à l'humanité par la servitude? monstrueux prétexte de la barbarie de nos lois! Ils -ne peuvent supporter la liberté ? est-ce que la liberté est plus lourde à porter que l'esclavage? et nous qui parlons, supporterions-nous l'esclavage? et cependant qui de nous osera dire que l'esclavage n'est pas plus difficile à supporter que la liberté ? C'est ainsi que des législations cupides se font des raisons de leurs vices mêmes !
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Non, Messieurs, nous ne croirons jamais à ces prétendues nécessités des crimes sociaux, à cette prétendue impuissance des races humaines d'arriver à la possession des droits que Dieu leur a faits, pas plus qu'à cette impossibilité de cultiver certaines plantes autrement qu'en dégradant toute une famille humaine. S'il en était ainsi, périssent ces plantes qui ne pourraient croître que sous la sueur et le sang des esclaves! (Trèsbien! très-bien!) Mais il n'est pas, il ne peut pas être vrai que la prospérité d'une contrée ou d'un peuple soit nécessairement fondée sur la dégradation et l'abrutissement d'un autre peuple et d'un autre pays! Je ne croirai jamais que le divin distributeur des destinées sociales les ait ordonnées ainsi, qu'il faille retenir une partie, une moitié de la race qu'il a créée dans les souffrances physiques! D'accord avec les colons, même sur le principe de l'émancipation, sur l'indemnité et sur les avantages du travail libre, le gouvernement n'a, pour obtenir le résultat de l'émancipation, qu'à discuter avec les colons le chiffre de l'indemnité, qu'à garantir aux colons des travailleurs libres, et enfin qu'à se décider, par des enquêtes et par l'exemple de l'Angleterre, entre une émancipation partielle et progressive, et une émancipation totale et immédiate. Quand une fois le pays et le gouvernement auront cette foi généreuse dans un principe, cette conscience irrésistible d'un grand devoir à accomplir à tout prix, voilà donc les trois questions qu'il aura à résoudre : garantir aux colons des travailleurs libres après la mesure de l'émancipation, émanciper entièrement ou progressivement, enfin indemniser suffisamment. Les deux premières questions sont purement administratives et expérimentales. Nous pensons, nous, et en cela nous sommes heureusement d'accord avec les colons, que l'émancipation entière et immédiate est celle qui présente le plus de chances favorables et dans l'intérêt de l'humanité et dans l'intérêt des colons. Dans l'intérêt de l'humanité, parce que les esclaves à demi rachetés resteraient pour l'autre partie de leur temps sous la verge et sous l'arbitraire du maître, qui pourrait
les surcharger de travail et se venger de cette demi-liberté conquise sur ses intérêts. Dans l'intérêt des colons, parce que le rachat partiel et successif, en privant le maître d'une partie de ses droits sur l'esclave, donnerait lieu à des contestations sans nombre, et laisserait une foule d'intérêts indirects sans compensation. La question de la quotité de l'indemnité resterait donc seule à résoudre. Elle présente sans doute des difficultés ; elle ne se réglera jamais à l'amiable ; le haut arbitrage de la métropole sera nécessaire ; des controverses sans terme viendront compliquer et obscurcir les droits mutuels de l'État, des colons et de l'esclave. Mais si nous examinons cette question de l'indemnité au jour d'une haute et impartiale raison, si nous appelons à cet examen et la morale des philosophes et la conscience de l'humanité et la pratique de l'homme d'État, cette question devient claire et se résout ainsi selon moi.
Le colon dit : « Mes esclaves sont ma propriété aussi légitime, aussi inviolable que votre maison ou votre champ ; car je les ai achetés ou recus en héritage sous la garantie de la même loi. »
Nous disons, et l'esclave dit avec nous : « Aucune loi ne peut donner à l'homme la propriété de l'homme; car la loi n'est que la sanction de la justice ; car aucune conscience humaine ne peut légitimer l'esclavage ; car nul n'est obligé de ratifier une loi qui le prive des droits donnés par la nature. »
Quelle sera donc la solution ?
La voici : c'est qu'une compensation est due pour le redressement de cette loi qui viole un grand principe moral; c'est que le redressement de cette loi intéressant à la fois la société tout entière qui rachète un principe, le colon qui rachète une propriété légitime à la place d'une usurpation consacrée, l'esclave enfin qui rachète sa liberté vendue, la société, le colon et l'esclave doivent concourir proportionnellement au redressement de cette loi, et subir leur part dans la compensation ou dans l'indemnité. En partant de cette base éminemment juste, en évaluant ce que la société gagne en recouvrant une vérité dans ses lois, le colon en rentrant dans le droit et dans la nature, l'esclave en recouvrant la liberté, en comptant les esclaves valides, en prenant leur prix moyen dans les dernières années, en faisant un total de cette somme, en la distribuant avec justice entre l'État, le colon et l'esclave, on arrive, en prenant des termes et des moyens indirects pour en solder une partie par des réductions sur les droits des sucres, on arrive à un résultat qui n'est point onéreux pour le Trésor, et qui soulage d'un poids intolérable la conscience d'-un peuple équitable et moral !

La société, Messieurs, n'est pas condamnée à ne jamais abolir les abus, les vices, les monstruosités de ses lois, parce que ces monstrueux abus sont devenus des propriétés directes ou indirectes! Où en serions-nous, si la société ne pouvait se dessaisir et s'exproprier de ses vices devenus propriétés pour quelques-uns? La féodalité réclamerait ses serfs, l'État ses aubaines, l'inquisilion ses confiscations, le bourreau son salaire perdu quand nous lui aurons supprimé son œuvre homicide! (Interruption et cris : très-bien ! tres-bien!)
Non, Messieurs, nous avons le droit d'être humains, pourvu que nous sachions être justes; nous avons le droit de gémir et nous indigner de voir des hommes, nos frères, traqués comme de vils troupeaux, chassés à un travail de seize heures avec le fouet pour salaire, condamnés au concubinage le plus brutal, à la promiscuité des enfants, ces enfants vendus à un maître, la mère à un autre, le père à un troisième, l'âme profanée avec le corps, l'ignorance imposée à l'esprit, l'interdiction systématique de toute instruction élémentaire, même du droit d'apprendre à lire, la famille foulée aux pieds comme le germe de toute sociabilité qu'il faut écraser pour mieux abrutir l'espèce; une religion incompatible avec l'esclavage, prêchant en vain aux esclaves sa morale démentie par la violation de tout christianisme à leur égard, une dignité de l'homme insultée sous toutes ses formes en eux, leur prêchant l'indépendance et la justice un fouet à la main ! Nous avons le droit d'abolir de telles atrooités sociales, ou si on nous conteste le droit de les abolir, n'aurons-nous pas le droit de les racheter et de discuter avec les propriétaires à quel prix nous les rachèterons? (Bravo dans les tribunes.)
Mais les propriétaires, il faut leur rendre cette justice, sont

animes des mêmes sentiments que nous : cette proprioté humiliante leur pèse, ils sont impatients de l'abdiquer, ils préparent l'esclave à la liberté par la douceur croissante et l'humanité de leur tutelle; les esclaves respirent l'air de la liberté qui souffle des colonies anglaises; la population noire qui s'accroît dans les nôtres rendrait dans peu d'années le rachat plus onéreux, impossible peut-être. Le moment est opportun, nous sommes en paix, nous sommes en progrès moral et en mouvement législatif, nos capitaux abondent, nous en versons avec profusion sur toutes les entreprises industrielles ; ouvrons un emprunt pour le rachat de l'homme, jetons ou plutôt prêtons quelques millions à une entreprise de l'humanité. Les principes sont aussi des capitaux pour un peuple, et les intérêts de ces capitaux, la Providence les lui paye avec usure, et Dieu en tient compte à sa postérité! Qu'attendons-nous, Messieurs? Indépendamment de ce résultat tout moral, vous aurez des colonies mieux cultivées par le travail libre, où les procédés les plus économiques, les machines et les industries qu'elles exigent s'établiront; une population plus nombreuse et "plus riche qui consommera une somme bien plus forte des produits industriels de la métropole; les denrées coloniales, le sucre surtout à meilleur marché sur le continent et devenant accessible à la consommation de toutes les classes ; une réduction notable dans vos forces militaires aux colonies et dans la mortalité des troupes que vous êtes forcés d'y tenir; le remboursement de quatre-vingts millions que vos colonies doivent au commerce de la métropole, et dont elles s'acquitteraient avec le produit de l'indemnité; enfin la réclamation de la dignité humaine dans les esclaves et dans les maîtres eux-mêmes, car la possession de l'homme corrompt celui qui possède autant que celui qui est possédé !
Messieurs, sondons quelquefois nos consciences! Il y a un peuple qui s'appelle libre, qui n'a dû cette liberté qu'à notre sympathie pour l'indépendance humaine, ce sont les Américains. Eh bien, Messieurs, en face de ce congrès où retentissent du matin au soir ces beaux noms d'indépendance, de dignité humaine, de droits imprescriptibles, d'inviolabilité des droits naturels, vous voyez passer des files d'hommes, de femmes, d'enfants, île jeunes filles, enchaînés les uns aux autres par des carcans qui leur empêchent même d'incliner la tête pour cacher leur honte ou leurs larmes, et qui protestent devant, le ciel et la terre contre l'hypocrite philanthropie de ce peuple qui ne veut la liberté et la justice que pour lui (sensation). Et nous, Messieurs, qui recherchons avec tant de jalousie et de scrupule ce qui peut nous manquer en droits individuels, civils, constitutionnels, nous qui nous interrogeons sans cesse nous-mêmes avec tant de scrupule pour savoir si quelque faculté humaine n'est pas suffisamment garantie dans nos lois, et qui souffrons comme le Sybarite du moindre pli de servitude qui pourrait nous blesser ou nous gêner seulement dans le tissu de nos législations, pensons-nous quelquefois qu'à quelques journées de nos rivages, sous le même Dieu, sous la même loi, sous le même drapeau que nous, il y a des milliers d'hommes qui ne connaissent ni nationalité, ni religion, ni famille, qu'on a arrachés a leur père, à qui on arrachera leurs enfants de peur qu'ils n'aient un des liens de la nature, à qui on jette une femme pour s'enrichir de sa fécondité, à qui on la retire pour que la famille n'empêche pas de ' revendre l'humain'(é en détail! (Tres-bien! très-bien! sensation.) qui n'ont d'autre loi que le caprice d'un maître délégué par un maître! sujets d'un peuple libre pour qui le mot de liberté n'est qu'une dévision .amère, hommes pour qui le nom d'homme n'est qu'une ironie et une malédiction! (Très-bien! tres-bien! vive sensation.)

Ah ! pensons-y, Messieurs, et faisons-y penser la loi ! Sollicitons l'effort du gouvernement et des Chambres. Nous accusons sans cesse ici la stérilité de nos révolutions! Eh bien! que nos révolutions profitent du moins à quelqu'un ! que le contre-coup de notre liberté se fasse sentir à nos esclaves! donnons au gouvernement tout ce qu'il nous demande, plus que ce qu'il nous demande, à condition qu'il l'emploie à la restau-' ration de la liberté et de la dignité de l'homme ! Il nous trouvera toujours complaisants à ce prix !
Je vote pour la loi.
(Vives et universelles marques d'adhésion sur tous les bancs.)

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