Figaro, Beaumarchains, 1778 
La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro est une comédie en cinq petits actes de 
Beaumarchais écrite en 
1778, dont la première représentation officielle eut lieu le 
27 avril 1784 au 
théâtre de l'Odéon, après plusieurs années de censure.
Mariage de Figaro , 
Acte V, scène Ire, sur Wikisource.
Sans la liberté de blâmer,
il n'est point d'éloge flatteur
Acte V, Scène 3, sur Wikisource.
Figaro
Seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre :
Ô femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !… nul animal 
créé ne peut manquer à son instinct : le tien est-il donc de tromper ?… 
Après m’avoir obstinément refusé quand je l’en pressais devant sa 
maîtresse ; à l’instant qu’elle me donne sa parole, au milieu même de la
 cérémonie… Il riait en lisant, le perfide ! et moi comme un benêt… Non,
 monsieur le Comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parce que 
vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… 
Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! 
Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de 
naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que 
moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus 
de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis 
depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes : et vous voulez jouter…
 On vient… c’est elle… ce n’est personne. — La nuit est noire en diable,
 et me voilà faisant le sot métier de mari quoique je ne le sois qu’à 
moitié ! (Il s’assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma 
destinée ? Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans 
leurs mœurs, je m’en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et 
partout je suis repoussé ! J’apprends la chimie, la pharmacie, la 
chirurgie, et tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à
 la main une lancette vétérinaire ! — Las d’attrister des bêtes malades,
 et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le 
théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans
 les mœurs du sérail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder 
Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé… de je ne sais où se 
plaint que j’offense dans mes vers la Sublime
- Porte,
 la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Egypte, les 
royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc : et voilà 
ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je 
crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous 
disant : chiens de chrétiens ! — Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge
 en le maltraitant. — Mes joues creusaient, mon terme était échu : je 
voyais de loin arriver l’affreux recors, la plume fichée dans sa 
perruque : en frémissant je m’évertue. Il s’élève une question sur la 
nature des richesses ; et, comme il n’est pas nécessaire de tenir les 
choses pour en raisonner, n’ayant pas un sol, j’écris sur la valeur de 
l’argent et sur son produit net : sitôt je vois du fond d’un fiacre 
baisser pour moi le pont d’un château fort, à l’entrée duquel je laissai
 l’espérance et la 
liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un 
de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent,
 quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais… que les 
sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le 
cours ; que 
sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ;
 et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. 
(Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un 
jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu’on ne soit plus en 
prison, je taille encore ma plume et demande à chacun de quoi il est 
question : on me dit que, pendant ma retraite économique, il s’est 
établi dans Madrid un système de 
liberté sur la vente des productions, 
qui s’étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle 
en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni dé 
la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, 
ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous 
l’inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce 
liberté, j’annonce un écrit périodique, et, croyant n’aller sur les 
brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois 
s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille, on me supprime, 
et me voilà derechef sans emploi ! — Le désespoir m’allait saisir ; on 
pense à moi pour une place, mais par malheur j’y étais propre : il 
fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint. Il ne me restait
 plus qu’à voler ; je me fais banquier de pharaon : alors, bonnes gens !
 je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m’ouvrent 
poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit.
 J’aurais bien pu me remonter ; je commençais même à comprendre que, 
pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais 
comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il
 fallut bien périr encore. Pour le coup je quittais le monde, et vingt 
brasses d’eau m’en allaient séparer, lorsqu’un dieu bienfaisant 
m’appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir 
anglais ; puis, laissant la fumée aux sots qui s’en nourrissent, et la 
honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant
 de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à
 Séville ; il me reconnaît, je le marie ; et pour prix d’avoir eu par 
mes soins son épouse, il veut intercepter la mienne ! Intrigue, orage à 
ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme, au moment d’épouser ma mère, mes 
parents m’arrivent à la file. (Il se lève en s’échauffant.) On se débat,
 c’est vous, c’est lui, c’est moi, c’est toi, non, ce n’est pas nous ; 
eh ! mais qui donc ? (Il retombe assis, ) Ô bizarre suite d’événements !
 Comment cela m’est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas 
d’autres ? Qui les a fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où
 je suis entré sans le savoir, comme j’en sortirai sans le vouloir, je 
l’ai jonchée d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a permis : encore je 
dis ma gaieté sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même 
quel est ce moi dont je m’occupe : un assemblage informe de parties 
inconnues ; puis un chétif être imbécile ; un petit animal folâtre ; un 
jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant 
tous les métiers pour vivre ; maître ici, valet là, selon qu’il plaît à 
la fortune ; ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais 
paresseux… avec délices ! orateur selon le danger ; poète par 
délassement ; musicien par occasion ; amoureux par folles bouffées, j’ai
 tout vu, tout fait, tout usé. Puis l’illusion s’est détruite et, trop 
désabusé… Désabusé… ! Suzon, Suzon, Suzon ! que tu me donnes de 
tourments !… J’entends marcher… on vient. Voici l’instant de la crise. 
(Il se retire près de la première coulisse à sa droite.) 
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Louis XVI accorde cette liberté, quelques mois avant la Révolution. 
Bibliographie 
Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, 1732-1799, Saint Marc Girardin, 1801-1873.- 
Oeuvres complètes de Beaumarchais. Précédées d'une notice sur sa vie et ses ouvrages par Saint-Marc Girardin, F. Didot frères, Paris, 1845.
Chantal Savioz.- 
"Figaro!", une fantaisie andalouse qui enthousiasme et qui enchaîne,  Culture, 27 février 2012
François Cocq, Secrétaire national à l'Éducation et aux Services publics, Parti de gauche.-
 Le Veto ou les chaînes de l’esclavage, Samedi 20 Octobre 2012 =<
Innovation Democratique.- "
Sans la possibilité de blâmer, il n’est point d’éloges flatteurs"(Journalisme), Innovation Democratique, La France, Vendredi 15 juin 2012.